Un « incunable » de l’édition photographique présenté dans l’exposition-dossier 10 ans de trésors

Auguste Salzmann, Jérusalem, Paris, Gide et J. Baudry, Éditeurs, 1856.
R.331

Le 19^e siècle voit apparaître un nouveau médium, la photographie, qui interroge et bouleverse les pratiques artistiques et scientifiques, notamment l’archéologie qui étend son champ d’étude au Proche-Orient.

Parmi les pionniers de la photographie appliquée à la démonstration archéologique, figure un Alsacien : Auguste Salzmann (1824-1872). Natif de Ribeauvillé, issu d’une famille protestante prospère, Salzmann présente le profil caractéristique de l’aventurier de son siècle, tout à la fois voyageur, écrivain, peintre, photographe, archéologue et collectionneur.

Un premier voyage hors d’Europe l’amène en Algérie, en 1847-1848, avec son ami le peintre Eugène Fromentin. En 1851, il est missionné par la ville de Colmar pour acquérir des antiquités en Égypte pour le futur musée Unterlinden. En décembre 1853, il s’embarque pour Jérusalem avec pour objectif de démontrer, par la photographie, la véracité des théories de son ami Félicien Caignard de Saulcy (dit aussi Félicien de Saulcy ou Félix de Saulcy) alors vivement combattues au sein de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. De Saulcy prétend qu’il subsiste dans la Ville Sainte des traces archéologiques et architecturales non seulement des périodes gréco-latine, chrétienne et islamiques, mais également de la période antérieure judaïque.

De cette campagne de prises de vues qui s’étend jusqu’en en juin 1854, Salzmann rapporte près de 200 calotypes représentant les principaux monuments de Jérusalem, réalisés comme autant éléments de preuves venant à l’appui des thèses de de Saulcy, ainsi qu’il l’écrit lui-même dans la préface des éditions qui en résultent : « Les photographies ne sont plus des récits, mais bien des faits doués d’une brutalité concluante ».

La diffusion de ces clichés prend plusieurs formes. Une première édition paraît en 1854, à compte d’auteur avec un tirage très limité et une diffusion confidentielle, au format in folio en 3 volumes, comportant 173 planches et 2 panoramas de 4 photographies chacun, réalisée par l’imprimerie photographique Blanquart-Évrard de Lille. Une seconde édition, en 1856, commerciale cette fois, est éditée chez Gide et Baudry à Paris avec des tirages photographiques toujours produits par les ateliers Blanquart-Évrard. Cette édition comprend un texte de Salzmann pouvant être vendu séparément et deux éditions de planches : une grande édition in folio de 195 planches et une petite édition au format petit in folio de 40 planches avec des tirages en réduction.

C’est cette petite édition, comprenant le volume de texte, très rare aujourd’hui, que la Bnu a acquise en 2021 avec le soutien de la Région Grand Est.

Au-delà de sa rareté, l’ouvrage présente de multiples intérêts. Il représente l’une des toutes premières applications de la photographie à la démonstration archéologique marquant ainsi un jalon dans l’accession de l’archéologie au statut de science. Il témoigne de l’édition photographique naissante : il est le second album sorti de l’imprimerie photographique Blanquart-Évrard après celui de Maxime Du Camp consacré à l’Égypte paru en 1852, dont la Bnu conserve également un précieux exemplaire provenant de la bibliothèque de l’empereur Guillaume 1^er [1]. Il témoigne d’un moment de l’histoire de la photographie orientaliste à une époque charnière entre le temps des pionniers et celui des grands ateliers qui feront florès dans la seconde moitié du 19^e siècle.

N’oublions pas in fine la dimension proprement artistique de l’album. En dépit de leur ambition scientifique vouée à l’établissement de preuves irréfutables et à leur caractère méthodique, les clichés de Salzmann n’ont rien d’aride. Ils révèlent un sens aigu de la composition et une maîtrise admirable de la lumière, avec de beaux effets de clair-obscur, tout particulièrement sur les plans rapprochés. Le photographe a manifestement su tirer parti de sa formation graphique et de sa fréquentation des peintres.

Claude Lorentz

Référence du document :

Auguste Salzmann, Jérusalem : étude et reproduction photographique des monuments de la Ville sainte, depuis l’époque judaïque jusqu’à nos jours, Paris, Gide et J. Baudry, Éditeurs, 1856.
R.331 [l’exemplaire conservé à la BnF est disponible sur Gallica]

[1] Maxime Du Camp, Égypte, Nubie, Palestine et Syrie : dessins photographiques recueillis pendant les années 1849, 1850 et 1851 accompagnés d’un texte explicatif et précédés d’une introduction publique, Paris,  Gide et J. Baudry, 1852. Bnu : R.297. [l’exemplaire conservé à la BnF est disponible sur Gallica]